Au travers d’une question à l’Assemblée, la valeur probante de la blockchain prend corps.
La blockchain ou chaîne de blocs, technologie de création et de gestion de bases de données sécurisées, décentralisées et réputées infalsifiables, est l’une des déclinaisons des dispositifs d’enregistrement électroniques partagés. Elle combine trois technologies relativement anciennes à l’échelle d’Internet : la cryptologie, les bases de données et le pair-à-pair (peer-to-peer). Son utilisation suscite depuis quelques années un intérêt croissant et de nombreux acteurs privés comme publics expérimentent cette technologie pour apprécier ses apports notamment en matière de création d’actifs, de certification, d’horodatage et de création de contrats à exécution automatique (smart contracts). Il convient de rappeler que la France a eu un rôle relativement précurseur dans l’intégration de cette technologie à son système juridique. En effet, l’ordonnance du 28 avril 2016 n° 2016-520 relative aux bons de caisse dispose, dans son article 2, la possibilité d’inscrire l’émission et la cession de minibons dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations. Or, en 2016, peu d’Etats avaient inscrits dans leur ordonnancement juridique cette technologie. Depuis lors, la France a chaque année enrichi le corpus de ses textes juridiques prenant spécifiquement en considération les technologies de type blockchain : l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers, le décret n° 2018-1226 du 24 décembre 2018 relatif à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers et pour l’émission et la cession de minibons et la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE. En matière probatoire, si aucun texte juridique ne mentionne spécifiquement la blockchain, il n’en résulte pour autant aucun vide juridique. En effet, le code civil pose le principe de la liberté de la preuve des faits juridiques (article 1358) et des actes sous signatures privées, dont le montant est inférieur à 1 500 euros (article 1359). En outre, si un écrit est nécessaire pour les contrats dont l’enjeu est supérieur à ce montant, le code civil pose un principe de non-discrimination de l’écrit électronique par rapport à un écrit sur support papier (article 1366), dès lors que peut être identifiée la personne dont cet écrit émane et que celui-ci est établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. La preuve des obligations est également libre entre commerçants en application de l’article L. 110-3 du code de commerce. Par conséquent, les preuves issues des chaînes de blocs peuvent aujourd’hui être légalement produites en justice. Il appartient au juge d’évaluer leur valeur probante, sans que celui-ci ne puisse les écarter au seul motif qu’elles existent sous forme numérique. Dans les cas où une preuve par écrit est imposée, la technologie blockchain peut répondre à certaines des exigences réglementaires posées en la matière. Le règlement européen n° 910/2014 du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, dit règlement eIDAS, impose, pour bénéficier d’une présomption de fiabilité en matière de signature et d’horodatage, qu’il soit fait usage d’un tiers de confiance, ce que cette technologie ne prévoit pas. Pour autant, cela ne signifie pas que les signatures électroniques et autres inscriptions utilisées dans les chaînes de blocs – qui peuvent recouvrir des réalités techniques et obéir à des règles de gouvernance très variées selon le type de chaînes en cause – sont dépourvues de valeur probante mais seulement qu’elles ne bénéficient pas de cette présomption. Leur valeur probante sera appréciée par le juge conformément au droit commun de la preuve. Notre droit permettant d’appréhender de manière satisfaisante les questions probatoires soulevées par les chaînes de blocs, il ne nous paraît donc ni nécessaire, ni opportun de créer un cadre légal spécifique. Par ailleurs, la fiabilité des blockchains est dépendante de l’absence de faille dans le code informatique (plusieurs cas de détournements de crypto-monnaies ont déjà été observés) et de l’évolution des connaissances en matière de cryptographie. Au surplus, rien ne permet de s’assurer de la véracité d’un élément inséré dans une blockchain : seule la date de l’insertion et l’identité du document produit par rapport à la trace conservée dans la blockchain sont garanties par ce procédé. Enfin, elle ne peut être assimilée à un acte authentique, en ce que l’officier ministériel participe à l’élaboration de l’acte authentique, garantissant dans une certaine mesure sa validité, son absence de contrariété à l’ordre public ainsi qu’aux droits des tiers, ce qui n’est absolument pas assuré par les blockchains.